April 15, 2019
(Paris, le 15 avril 2019) – Après la publication dans la presse aujourd'hui de documents confidentiels du renseignement militaire français listant, aux fins d'information du pouvoir exécutif, les armes françaises impliquées dans la guerre au Yémen, dix ONG humanitaires et de défense des droits humains appellent la France à cesser immédiatement ses transferts d'armes à destination de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Il est temps que le gouvernement français cesse de faire passer les intérêts économiques avant les vies de civils et le respect de ses engagements internationaux.
L’enquête du site d'information Disclose, en partenariat avec Arte, Konbini, Mediapart, Radio France, et The Intercept apporte deux enseignements.
D’abord, c’est la première fois qu’une source officielle, le renseignement militaire français, confirme ce que les ONG mettent en lumière depuis des mois (notamment l'ACAT, Amnesty International, la FIDH et l'Observatoire des armements) : les équipements militaires français achetés par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont engagés dans la guerre au Yémen, avec un risque élevé de leur utilisation dans des attaques illégales contre des populations civiles.
Ensuite, les informations transmises aux autorités par la direction du renseignement militaire contredisent la version officielle de la ministre des Armées Florence Parly et du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, reprise par Emmanuel Macron, selon laquelle il n'y a aucun risque que les équipements militaires français soient utilisées contre des populations civiles au Yémen puisqu’ils ne seraient utilisés qu’à des fins défensives. Le document révélé par Disclose démontre que les autorités françaises n'ont aucune certitude sur l'utilisation qui est faite des armes françaises, contrairement aux assurances maintes fois fournies.
Afin de garantir que la France cesse de se rendre complice de crimes de guerre au Yémen, les ONG demandent solennellement au Président de la République et au gouvernement de:
- Stopper immédiatement les transferts d'armements à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis ;
- Améliorer de façon décisive la transparence relative aux ventes d'armes, notamment en établissant un véritable contrôle parlementaire des exportations, comme le souhaitent 72% des Français selon un récent sondage YouGov.
Par ailleurs, les 10 ONG demandent aux parlementaires français de mettre en place de toute urgence une commission d’enquête parlementaire sur le respect par la France de ses engagements internationaux dans le cadre du conflit au Yémen, notamment le traité sur le commerce des armes et la position commune de l’Union européenne.
Liste des organisations signataires :
- ACAT
- Amnesty International France
- CARE France
- FIDH
- Handicap International
- Human Rights Watch
- Médecins du Monde
- Observatoire des armements
- Oxfam France
- SumOfUs
Citations d’ONG
Dr. Philippe de Botton, président de Médecins du Monde :
« Avec cette enquête, nous avons la preuve irréfutable de la complicité de l’État français dans l’alimentation de ce conflit qui dure depuis 4 ans. Une responsabilité dénoncée à maintes reprises par Médecins du Monde et l’ensemble des ONG humanitaires et des droits de l’Homme alors même que la France est signataire du Traité sur le commerce des armes. Face à la situation humanitaire dramatique vécue par la population yéménite, la France ne peut continuer à nier son implication et doit stopper immédiatement ses ventes d’armes. »
Bénédicte Jeannerod, directrice France, Human Rights Watch :
« Avec la preuve venant d’une source officielle que des armes françaises transférées à la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite sont utilisées dans le conflit au Yémen, le gouvernement français ne peut plus se contenter de balayer d’un revers de main le risque qu'elles contribuent à des attaques illégales contre des civils. Plutôt que de continuer à nier l'évidence, le gouvernement devrait faire la lumière sur ses ventes d'armes et suspendre immédiatement tous ses transferts d'armement vers l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pour éviter de se rendre complice de crimes de guerre. Le Parlement devrait d'urgence demander à l'exécutif d'assurer la transparence sur ces ventes d'armes et leur utilisation. »
Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes, Amnesty International France :
« Depuis le début du conflit au Yémen, Amnesty International n'a eu de cesse d'interpeller le gouvernement français pour qu'il suspende ses transferts d'armes à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, principaux acteurs de la coalition engagée au Yémen. Les deux pays sont responsables de graves atteintes au droit international humanitaire, y compris de potentiels crimes de guerre au Yémen. Les informations, révélées aujourd'hui, semblent apporter la preuve que le gouvernement a continué ses livraisons d'armes avec la fourniture de canons d'artillerie Caesar, malgré ses engagements internationaux et bien après que les premiers soupçons de crimes de guerre aient été révélés par les ONG. La population du Yémen est menacée par la famine à cause de la campagne de bombardements incessants de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite avec le soutien d'équipements français. Amnesty International le réclame depuis déjà trop longtemps : la France doit prendre ses responsabilités et suspendre immédiatement ses transferts d’armes vers l'Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis. Elle doit par ailleurs sans délai faire preuve de plus de transparence sur ses exportations d'armes. Le Parlement doit pouvoir jouer pleinement son rôle de contrôle et s’assurer que des équipements militaires français ne sont pas responsables de violations graves du droit international humanitaire. »
Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements :
« L'enquête des journalistes de Disclose révèle que les autorités ne peuvent ignorer que des armes françaises sont massivement utilisées contre les civils au Yémen. En se rendant complice de crimes de guerre, la France mène une politique vouée à l'impasse. Pour en sortir, il faut stopper nos ventes d'armes et mettre en place une commission parlementaire permanente de contrôle des ventes d'armes, tel que le demandent 9 ONG et plusieurs parlementaires. Nous nous tenons à la disposition des députés Jacques Maire et Michèle Tabarot, rapporteurs de la mission d'information sur le contrôle des exportations d’armement, pour co-construire ce projet. »
Elias Geoffroy, responsable programme & plaidoyer Afrique du Nord & Moyen-Orient, ACAT France :
« Depuis plus d’un an, l’ACAT alerte sur la probable utilisation d’armes françaises à l’encontre des civils au Yémen. Depuis plus d’un an, elle dénonce le fait que le parlement ne dispose pas de moyens suffisants pour exercer un contrôle digne de ce nom sur les ventes d’armes. En effet, aucun contrôle pérenne et efficace ne peut être mené si les parlementaires ne disposent pas d’informations précises : Quelles licences d’exportation ont été délivrées ? Pour quels montants et quelles quantités ? Pour quels pays et destinataires finaux ? Il est navrant de constater que les informations telles que celles publiées aujourd’hui dans la presse sont celles dont les députés devraient disposer pour pouvoir s’assurer que la France respecte bien ses engagements internationaux (en particulier le TCA et la position européenne commune), et ceci dans le but de ne pas se rendre complice de crimes de guerre ou d’autres types de violations graves du droit international humanitaire et des droits humains. »
Fanny Petitbon, responsable plaidoyer, CARE France :
« Ces dernières révélations sont accablantes. Elles démontrent que l’Etat français est au courant depuis plus de six mois que des armes françaises sont utilisées contre des populations civiles au Yémen, soit pour les attaquer, soit pour les affamer. Alors que la situation humanitaire ne cesse de se détériorer, la France doit mettre un terme à son attitude schizophrène : elle ne peut pas d’un côté dire qu’elle souhaite une solution pacifique au Yémen et de l’autre, continuer à l’alimenter en vendant des armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats Arabes Unis. Ces transferts d’armes doivent cesser immédiatement. »
Thomas Hugonnier, directeur Moyen Orient, Handicap International :
« La France doit immédiatement cesser toute vente d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Ces armes, et notamment des armes explosives, sont actuellement utilisées dans la guerre au Yémen. Elles alimentent un conflit qui a anéanti le pays et dont les conséquences sont désastreuses pour les civils. En 4 ans de guerre, des civils ont été régulièrement touchés ou pire ciblés par des attaques par les belligérants. Chaque jour, nous observons parmi les personnes que nous accueillons pour des séances de rééducation ou de soutien psychologique les souffrances provoquées par les bombardements et les pilonnages. Des hommes, des femmes, des enfants sont traumatisés, doivent être soignés suite à une fracture ouverte, une amputation, etc. Un tiers des personnes que nous soignons sont des victimes des armes explosives. La France qui est membre du Traité sur le commerce des armes (TCA) doit respecter ses engagements en ne vendant pas d’armes à des parties prenantes à un conflit susceptibles de les utiliser dans des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil. »
Jon Cerezo, responsable de campagne humanitaire, Oxfam France :
« Les informations accablantes publiées par Disclose ce matin obligent la France à réagir publiquement : le silence ne fera que confirmer notre complicité et notre indifférence dans une guerre et une crise humanitaire sans mesure. La France doit revoir sa position sur ses ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis. Il est intolérable que des armes françaises aient contribué à faire du Yémen un champ de ruines, tué des civils et précipité des millions de personnes au bord de la famine. Cela depuis maintenant plus de 4 ans. Il est temps pour Emmanuel Macron de faire preuve de sagesse et de responsabilité, et de placer les vies humaines avant les intérêts économiques : suivons la voie tracée par de nombreux pays européens avant nous et cessons le transfert d’armes françaises. »
Antoine Madelin, Directeur du Plaidoyer international à la FIDH :
« Ces nouvelles révélations sur la présence d'armes françaises au Yemen viennent une fois de plus contredire la posture de déni des autorités françaises. Cette fois, la France n'a plus d'excuses pour ne pas interrompre immédiatement ses ventes d’armes aux Émirats arabes Unis et à l’Arabie saoudite. Face à l'opacité et probablement aux mensonges, nous demandons une fois de plus qu'une commission parlementaire permanente soit chargée d’étudier les ventes d’armes. »
Eoin Dubsky, responsable de campagnes, SumOfUs :
« Les importantes révélations de l’enquête menée par les journalistes de Disclose et la fuite inédite de documents classés « secret défense » qui révèlent l’usage massif d’armes françaises dans la guerre au Yémen ne laissent plus le choix au gouvernement : celui-ci doit immédiatement suspendre les ventes d’armes françaises vers les État du Golfe qui mènent la guerre au Yémen et qui dirigent cet arsenal militaire contre les populations civiles. Plus de 126 000 personnes ont signé une pétition lancée par SumOfUs appelant Emmanuel Macron à agir dans ce sens, et 7 Français sur 10 partagent cette opinion selon un récent sondage réalisé par YouGov pour SumOfUs. Il est grand temps que le gouvernement entende le message des Français, au lieu de céder au lobbying des industriels de l’armement et se rendre complice de crimes de guerre. »